Le dernier numéro de la revue Quel sport ? et le livre d’entretien avec le politologue Paul Ariès Huit milliards pour un podium tranchent avec l’unanimisme ambiant autour du sport et des Jeux olympiques.
« Le sport, ça sert à détourner les gens des problèmes importants. En un mot, c’est une diversion. » Tirée d’une revue Quel Corps ? de 1978, cette citation de Vladimir Jankélévitch figure en exergue de la dernière livraison de son héritière Quel Sport ?, qui prolonge la réflexion de l’école critique initiée par Jean-Marie Brohm dans l’effervescence post-Mai 68. Celui-ci figure d’ailleurs au sommaire de ce numéro consacré à L’emprise d’un opium d’État. La bassecour des Jeux de Paris 2024. Il y explique que « Le sport reste un facteur de mise au pas » et que « Plus on avance dans la mondialisation, plus le capitalisme et le sport fusionnent ».
Que l’on adhère ou non à cette grille de lecture fortement imprégnée de marxisme, il faut reconnaître aux contributeurs de Quel Sport ? un certain sens de la formule. Au chapitre « société du spectacle olympique et mascarade médiatique », Jan Mathias Bystrouky pointe ainsi le « patchwork multiculturel doublé d’un peplum postmoderne » de ce « happening de masse ». Côté « culte des champions », Sarah Duplant moque le Club France, « haut lieu de la soumission idolâtre », et s’amuse de « la cyclothimie du supporter », de l’euphorie à la déprime. Roman Leconte dénonce pour sa part « le pilonnage propagandiste », « l’alignement sur l’idéologie de la "culture sportive" » et « le catéchisme macroniste de la "nation sportive" ». Quant à Hannibal Tempo, il se désole d’une « dépolitisation au pas cadencé » et voit dans « la cohésion nationale contre les "grincheux"» la « stigmatisation de l’esprit critique ».
Au-delà de leur virulence un peu trop systématique, ces articles-pamphlets donnent toutefois matière à réfléchir : libre à chacun d’opiner du chef ou de faire non de la tête. Tout en sachant que les auteurs ne tolèrent aucun entre-deux, synonyme de compromission…
Les acteurs de l’Ufolep, engagés au sein d’une fédération intégrée au Mouvement sportif tout en se revendiquant de l’éducation populaire, pourront parfois se sentir visés. En prise avec les réalités de terrain, ils sauront prendre ce qu’ils veulent de ce manifeste critique qui a le mérite de faire émerger un îlot discordant dans un océan d’unanimité.
Tout en affirmant sa large identité de vue avec le courant critique du sport, Paul Ariès délivre dans Huit milliards pour un podium une vision plus nuancée et se revendique « l’héritier d’une très longue histoire qui (…) ne se réduit pas à la sociologie caractéristique de la seconde moitié du XXe siècle ». « Le refus du Sport moderne [l’auteur tient à la majuscule] naît spontanément, explique-t-il, dès ses préliminaires, au XIXe siècle ».
En « vieux militant », Paul Ariès constate au passage que « cette critique est devenue marginale », voire « inaudible ». Il rappelle aussi qu’autrefois elle « ne campait pas uniquement sur le versant négatif » et « eut longtemps avec l’éducation physique une alternative à proposer ». Cette même éducation physique encapsulée dans le sigle Ufolep…
Paul Ariès y ajoute une analyse nourrie par la « crise écologique » : à ses yeux, « le Sport fait partie du problème, et non pas de la solution. Je refuse sa conception de la vie fondée sur la compétition. Je refuse sa conception du corps reposant sur l’hubris. Je refuse tout ce qui renforce la technicisation du corps. Je refuse la sportivisation de l’existence. » Cet « objecteur de croissance » pense néanmoins que « le Sport peut-être une propédeutique à une rupture civilisationnelle », au regard du double enjeu de « l’égalité » et de « l’écologie ». Sans prédire toutefois de quel côté penchera la balance. Philippe Brenot