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Patrick Clastres : « Quel projet derrière Paris 2024 ? »

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Historien spécialiste du sport et de l’olympisme, Patrick Clastres enseigne à la Faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne.

 

Patrick Clastres, que peut-on attendre des Jeux de Paris ?

Pour un pays, les Jeux servent à faire du nation building, construire de l’unité nationale, et du nation branding, vendre sa marque à l’étranger. Mais cela a-t-il été travaillé ? Y a-t-il un message ou un vrai projet, en dehors de la volonté affichée de « faire de la France une nation sportive », formulation qui m’agace prodigieusement car la France est déjà une grande nation sportive. Le sport y est très largement pratiqué, avec 16 millions de licenciés et autant de pratiquants autonomes. Et pour ce qui est des médailles, le chercheur libanais Nadim Nassif a montré que, rapporté à sa population et sports olympiques et non olympiques confondus, la France se situait au 2e rang mondial derrière les États-Unis.

Ensuite, si on parle de l’accessibilité des Français les plus pauvres, c’est un autre sujet, celui de la démocratisation du sport. Et ce n’est pas avec un affichage sport-santé que l’on va attirer les jeunes, dont l’intérêt pour le sport est lié historiquement au fait que celui-ci leur offre un espace de liberté en dehors du travail, de l’espace domestique ou de l’agora politique : un espace de loisir à l’abri des regards de l’État, des parents, de l’employeur. Que depuis le 19e siècle les États soient prescripteurs à des fins d’éducation, de santé, de militarisation ou de construction du citoyen, c’est une chose… Mais on oublie trop la part ludique, de gratuité et de liberté, le plaisir du jeu.

 

Peut-on nourrir des inquiétudes quant à leur organisation ?

La France possède une grande capacité à organiser et médiatiser les grands évènements sportifs – voyez la façon dont la télévision publique a fait du Tour de France une réussite patrimoniale et touristique. Je ne m’inquiète pas de la capacité à organiser l’évènement sur de grands sites. On peut en revanche s’interroger sur l’attitude que montreront les spectateurs à l’égard des athlètes russes ou israéliens, et sur l’image que la France projettera à l’étranger : celle d’un pays qui ferme ses frontières et fait la chasse aux clandestins, repousse les sans-abris loin de Paris, ou celle d’un pays ouvert au monde, métissé, et aux jeunesses créatives ?

 

Les Jeux sont-ils de l’argent bien investis ?

On va dépenser 10 milliards d’argent public et privé : ça peut en valoir la chandelle si cela améliore une image de la France aujourd’hui écornée, celle d’une nation arrogante et en proie aux violences urbaines, alors que c’est un pays où, bon an mal an, la mixité sociale fonctionne. Je ne fais pas partie des anti-JO : je crois au contraire qu’ils peuvent être un outil. Mais aujourd’hui je ne sais toujours pas pourquoi on les organise…

 

Et quel est l’enjeu pour le Comité international olympique, dans un contexte international très tendu ?

Le CIO est un phénix. Cette institution historiquement et génétiquement conservatrice, et en rien démocratique, a failli disparaître à plusieurs reprises, mais a survécu chaque fois en mutant. Elle est aujourd’hui à un tournant, sous la menace d’évènements concurrents. Que ce soit pour faire pression sur le CIO – qu’elle accuse de faire le jeu de l’Occident –, ou pour aller plus loin, la Russie a annoncé pour juin des Jeux des Brics [pays émergents], et pour septembre des Jeux de l’Amitié qui réuniront les pays de l’Organisation de coopération de Shangaï. Des Jeux du monde non occidental, avec le risque de cassure de la planète des sports en deux pôles.

L’autre risque pour le CIO réside dans la sécession des fédérations internationales sportives. S’il semble aujourd’hui écarté, un autre grandit du côté des athlètes, qui depuis trois-quatre ans sont en train de s’organiser à l’échelle mondiale sur le modèle du tennis ou du golf, et réclament 40 % de l’argent généré par les Jeux. Le CIO affirme en reverser 90 %, répartis entre les comités nationaux olympiques et les fédérations internationales. Mais, hors des contrats de marque, les athlètes, eux, ne touchent rien, si ce n’est de la part des États. Recueilli par Ph.B.


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