Gaël Caron, 47 ans, entraîne depuis trente ans au sein de ce club de l’agglomération de Montpellier.
« Nous avons débuté dans les années 1970 comme section de la Maison des Jeunes et de la Culture (MJC), avant que le club ne se constitue en association en 2004 avec quatre entraîneurs salariés, dont moi, qui en avais été licencié dès l’âge de 5 ans. En parallèle, j’ai pratiqué le volley-ball jusqu’au niveau cadet national, mais j’étais trop petit ! Côté études, j’ai fait Staps (licence éducation et motricité et maîtrise en management du sport) puis obtenu un DESS en administration territoriale, pour devenir ensuite commercial chez Casal Sport. Puis, à la création du club, j’ai été sollicité pour entrainer : c’était mon destin !
Nous sommes passés de 200 licenciés il y a vingt ans à 1200 aujourd’hui, dont un millier en gymnastique artistique, avec parmi eux 200 garçons, ce qui est une belle proportion ! Les autres pratiquent la GRS (en loisir et en compétition avec l’Ufolep), l’aérobic (à la FFGgym) ou la gym senior et la salle est occupée sans discontinuer de 9h à 21h, du lundi au samedi : une belle salle spécialisée livrée en février 2023, aboutissement d’un projet datant du siècle dernier !
Sur ces 1000 licenciés en gymnastique artistique, environ 200 licenciés font de la compétition : 19 équipes filles et 9 de garçons en Ufolep, et 4 équipes filles et 4 de garçons en FFGym, où l’on retrouve les gymnastes recherchant un niveau plus élevé. Parmi eux figurent des élèves d’une école et d’un collège de Montpellier qui bénéficient d’horaires aménagés pour s’entraîner le lundi et le jeudi. Nous étrennons aussi un partenariat labélisé Génération 2024 qui permet à 12 garçons et 12 filles d’écoles de la Métropole, déjà licenciés du club, de s’y entraînent le jeudi après-midi.
Avant le Covid, nous étions 800 licenciés, et sitôt après l’épidémie nous sommes montés à 950 ! La raison ? Nous avons su garder le contact avec les enfants et leurs parents, et proposé une pratique en extérieur dès que cela a été possible. La clé du succès est aussi de proposer une éducation gymnique de rigueur et de qualité, dans une ambiance joyeuse et familiale. »
La saison dernière, le trampoline réunissait à l’Ufolep 1 618 licencié.s, dont 37 % de garçons, pour une moyenne d’âge de 14 ans, et la discipline permet parfois d’introduire plus de mixité dans les associations. « Au début, le National de trampoline était accueilli dans le même grand gymnase que celui de gymnastique, se souvient Anne-Marie-Émaille, responsable d’un club du Puy-de-Dôme où les deux activités coexistent1. Mais pour les trampolinistes il était difficile de se concentrer dans le brouhaha, ou pour les organisateurs de trouver une salle dédiée à proximité. Aussi, depuis plusieurs années le National de trampoline se déroule ailleurs, et à une autre date. » Sauf en 2026 à Clermont-Ferrand, où les deux activités seront à nouveau réunies !
De son côté, le cheerleading est apparu à l’Ufolep sous la forme de nouvelle section de clubs de gymnastique. Cependant, cette discipline collective issue des exhibitions gymniques proposées en marge des matches de football américain s’est ensuite davantage développée au sein d’associations indépendantes. En 2022-2023, celle-ci réunissait 527 licencié.s, dont 6 % de garçons jouant alors les « porteurs ».
Pas vraiment de passerelles non plus avec le dispositif UfoBaby de découverte des activités motrices de six mois à trois ans, et moins encore avec le twirling bâton : chaque activité possède son identité propre. Idem pour la gymnastique rythmique et sportive (GRS), même si des clubs proposent les deux disciplines.
(1) Sa fille Prescilla anime l’activité au niveau national.
« Cette année, toutes ces gymnastes peuvent appartenir à une même équipe ! Nous autorisons pour la saison 2023-2024 le port du shorty ou du legging, sans application de pénalité telle que "tenue incorrecte" ou "tenue de gymnastique non uniforme pour l’équipe" », expliquait Ludivine Frayssinet, sociétaire du Gymnix Gradignan et co-animatrice de la commission nationale, dans un post Facebook publié le 8 février. L’info était assortie de précisions, « pour la sécurité de la gymnaste et la clarté du jugement » : couleur unie, par défaut noire, ou de préférence de la couleur du justaucorps ; pas de strass ni de nom (exceptée la marque du fournisseur) ; le vêtement doit être moulant (pas de short descendant ni de "cycliste"). S’il était utile de le préciser, le « justaucorps académique » reste évidemment autorisé !
Une même équipe peut donc présenter une combinaison de tenues différentes, avec toutefois une exigence d’homogénéité esthétique : même shorty/legging ou même justaucorps si plusieurs gymnastes choisissent cette tenue. Pour les garçons, aucun changement : léotard pour le haut (c’est le nom de ce « marcel » moulant) et short ou sokol (pantalon) pour le bas.
« Cette évolution répond à celle de la société : y a-t-il forcément besoin qu’une jeune fille montre ses jambes, ses fesses ? interroge Sébastien Desmots. À l’entraînement, il est déjà fréquent de porter un shorty. Et il faut savoir qu’en compétition, les filles s’appliquent sur la peau une colle afin que le justaucorps ne leur remonte pas dans les fesses pendant leur prestation. »
Il arrive également qu’une jeune fille ait ses règles le jour d’une compétition. Certes, elle pouvait déjà demander une dérogation pour se présenter en shorty, mais le « chef de plateau » pouvait refuser sa requête ou les juges pénaliser son équipe d’un retrait de points. En outre, la démarche restait stigmatisante, car chacun savait pourquoi cette jeune fille l’effectuait. « C’est pourquoi, forts d’une expérimentation de plusieurs années en Île-de-France, nous avons fait évoluer nos règlements, en conformité avec la vocation Ufolep de faciliter l’accès de toutes et tous aux activités sportives, et en respectant la pudeur de certaines, insiste Sébastien Desmots. L’essentiel est que l’on distingue bien la ligne de jambes, car en gymnastique celles-ci doivent être tendues et le mouvement propre. Pas question d’accepter les pantalons de jogging, bien évidemment ! »
Si les plus attachés à une certaine tradition gymnique ont fait part de leurs réserves, gageons qu’elles disparaîtront vite. Ph.B.
En 2022-2023, la gymnastique artistique Ufolep réunissait 48 797 licencié.es, dont 90 % de féminines, avec une moyenne d’âge de 13 ans. Ce chiffre sera largement dépassé en fin de saison puisqu’on en recensait déjà plus de 51 000 en janvier. Si avant l’épidémie de Covid et le confinement les effectifs avaient déjà atteint la barre des 45 000, depuis septembre 2021 la progression est très rapide, alors même que beaucoup de clubs refusent du monde et que le nombre d’associations – un peu plus de 500 – est stable. Sur le long terme, la progression est tout aussi impressionnante, puisqu’on comptait « seulement » 20 272 licencié.es en 1980 et 35 000 en 2010.
De son côté, la FFGym revendiquait l’an passé 159 520 licencié.es en gymnastique artistique, avec un rapport féminines-masculins similaire. Celle-ci réunit au total 330 933 licencié.es en ajoutant les disciplines associées : gymnastique rythmique, trampoline, tumbling, aérobic, gymnastique acrobatique, TeamGym et parkour.
Avec 50 000 adeptes, près d’un licencié Ufolep sur six est aujourd’hui un – ou plutôt une – gymnaste : un engouement qui s’explique par des compétitions accessibles à tous et privilégiant l’esprit d’équipe.
« Même dans un sport individuel, gardez toujours l’esprit d’équipe » : la devise figure en gros caractères sur la couverture du livret remis aux nouvelles associations – toujours plus nombreuses – lorsqu’elles rejoignent la grande famille de la gymnastique Ufolep. Y sont notamment explicités le découpage géographique en quatre grands pôles régionaux, l’offre de formation d’animateurs et de juges ou les différents niveaux de compétition. Ceux-ci correspondent à celui des gymnastes : 7 échelons chez les garçons et de 8 chez les filles. Il est également important de savoir que les compétitions se déroulent de janvier à juin, du départemental au national en passant par l’échelon régional, avec une variante pour la filière « jeunes » dédiée aux 7-14 ans, dont les finales ne sont pas nationales mais interrégionales. Considérant que la valeur n’attend pas le nombre des années, en gymnastique la compétition commence en effet dès l’âge de raison.
Compétition. « Les compétitions sont le ciment de la gymnastique Ufolep. C’est pourquoi, dans mon club de l’Avant-Garde de Houilles (Yvelines) et beaucoup d’autres, on y amène très vite les jeunes. La gymnastique est à la base un sport individuel, ou l’on se "challenge" soi-même et où il faut répondre présent le jour J, en enchaînant les éléments que l’on a auparavant travaillés » résume Sébastien Desmots, 42 ans, dont quinze au sein de la commission nationale, qu’il coanime avec Ludivine Freyssinet, du Gymnix Gradignan (Gironde).
Équipes. À l’Ufolep, les compétitions se vivent toutefois en équipe, chaque gymnaste apportant des points en fonction de la difficulté des enchaînements réalisés. « Sur nos compétitions, souligne Sébastien Desmots, on ne se regarde pas en chiens de faïence : au contraire, on s’encourage les uns les autres et on échange entre gymnastes et entre entraîneurs. »
Brochure. La « brochure » est la Bible de l’activité : 158 pages qui précisent les règlements généraux et ceux concernant le jugement, ainsi que les catégories d’âge et les agrès propres à chaque sexe. Mais l’essentiel du document consiste en la déclinaison des programmes féminins et masculins, avec la décomposition de la note pour chaque agrès, figures dessinées à l’appui. Pas de cycle imposé pour l’actualisation du programme, alors que la Fédération française de gymnastique (FFGym) renouvelle le sien tous les quatre ans, au lendemain des Jeux olympiques. « Nous n’avons pas d’impératifs, nos effectifs sont à la hausse et il n’est pas question de briser cette dynamique. Mais il faut éviter la routine et ces derniers mois nous avons entamé les travaux d’actualisation, car le moment était venu d’évoluer un peu », explique Sébastien Desmots. Le nouveau programme sera prêt d’ici un an ou deux.
Encadrement. Certaines associations, notamment celles implantées dans les grandes agglomérations et possédant les plus gros effectifs, emploient des entraîneurs et entraîneures professionnels. Cependant, la plupart des clubs Ufolep fonctionnent seulement avec des entraîneurs bénévoles formés au club. C’est pourquoi il est possible de devenir aide-moniteur dès 14 ans. Si des stages de formation fédérale sont organisés, cela se fait aussi très souvent au sein du club, avec l’appui d’outils en ligne.
Juges. Impossible d’engager une équipe sans venir avec un juge : c’est la règle, sous réserve que celle-ci soit pénalisée, voire écartée de la compétition. C’est parfois une contrainte forte, et pour répondre au manque constaté par endroit l’âge plancher a été abaissé à 13 ans. « Les formations sont souvent organisées sur un week-end où ces jeunes vivent des moments sympas avec des gymnastes qu’ils sont ensuite heureux de retrouver sur les compétitions », raconte d’expérience Sébastien Desmots.Les 3 000 juges Ufolep sont bénévoles – même si certains clubs commencent à indemniser les déplacements – et ils doivent suivre un « recyclage » s’ils n’ont pas officié dans l’année : soit en présentiel, soit au moyen de tutoriels en ligne et de questionnaires à choix multiple.
Double affiliation. Difficile de préciser le nombre de clubs Ufolep affiliés en parallèle à la FFGym, mais cela reste une minorité. La politique affichée par la fédération délégataire n’y incite pas, celle-ci imposant de licencier tous les adhérents, avec toutefois une application plus ou moins stricte d’un territoire à l’autre.
Numérique. À l’Ufolep, gymnastique rime avec informatique. Parce que celle-ci facilite la gestion de cette activité très technique et que c’est le métier de Sébastien Desmots, créateur de nombreux outils. Cela va « du simple tableau Excell avec macros pour les formations de juges au logiciel de compétition actuel, en passant par le système d’engagement en ligne, un site dédié pour les clubs, le portail de la commission nationale et le partage en ligne des documents ». Moralité : « Il y a quinze ans, tout se faisait au crayon et par courrier ; aujourd’hui tout est informatisé, zéro papier ! »
Masculins. Avec un garçon pour neuf filles, la part des gymnastes masculins a continué à baisser ces dernières années, et la reprise en valeur absolue de l’après-Covid ne modifiera pas la tendance. « Là où l’effectif masculin n’est pas suffisant, les clubs choisissent parfois de licencier les garçons dans d’autres fédérations, pour qu’ils se frottent à davantage de concurrence », constate Sébastien Desmots. « Je me suis engagé dans la formation de juges masculins pour préserver les compétitions masculines, explique également Simon Briand, président du club de Vigneux-de-Bretagne (Loire-Atlantique). Cela m’a incité à participer aux visioconférences du groupe de travail national en charge du sujet, où sont aussi abordés le contenu du programme masculin et la façon d’attirer davantage de gymnastes hommes. Deux freins ont été identifiés : d’une part, les clubs manquent de moyens techniques et de matériel, car une partie des agrès (barre fixe, barres parallèles, cheval d’arçons, anneaux) sont spécifiques ; d’autre part, les entraîneurs hommes ne sont pas assez nombreux et leurs homologues femmes parfois moins à l’aise pour faire travailler des agrès qui ne sont pas les leurs. »
Mixité. Constituer des équipes mixtes permettrait-il d’intégrer les garçons ? « L’idée est ancienne mais demeure à l’état de projet, car nous n’avons pas trouvé la formule idoine, et puis le calendrier est déjà très dense », explique Sébastien Desmots. Différentes formules ont toutefois été testées : faire matcher filles et garçons chacun de leur côté en compilant les résultats ; réunir des équipes de quatre filles et deux garçons engagés dans leurs agrès respectifs ; ou encore des formules plus festives. « Mais les expériences tentées hors du cadre compétitif n’ont pas fait recette : les gymnastes ont besoin de l’aiguillon de la compétition, c’est une question de culture. »
Transmission. Plus encore que d’autres disciplines, la gymnastique est une passion qui se transmet de génération en génération. Cela vaut d’ailleurs dans les deux sens car nombre de parents – de mamans – s’engagent comme juges pour permettre à leur progéniture de concourir. Le fait pour un ou une gymnaste d’être très vite sollicité pour entraîner contribue aussi à l’attachement envers son association.
Médiatisation. Même si la gymnastique Ufolep est accueillante et conviviale, cela suffit-il à expliquer le spectaculaire gain de licenciés enregistré ces dernières années ? Quels sont alors les autres facteurs ? « La gymnastique est de plus en plus médiatisée, notamment le circuit universitaire américain, analyse Sébastien Desmots. Les jeunes regardent beaucoup de vidéos montrant des enchaînements sympas, avec beaucoup d’ambiance : c’est du show et cela suscite des vocations. L’équipe de France est également valorisée depuis qu’elle obtient quelques résultats. » Si les hommes, déjà absents à Tokyo en 2021, ont encore échoué à se qualifier pour Paris 2024, en octobre les féminines ont en effet décroché le bronze aux Mondiaux 2023. Quand on se rappelle le formidable engouement suscité auprès des petites filles par la médaille d’or olympique obtenue à Sydney 2004 par Émilie Le Pennec aux barres asymétriques, on imagine le retentissement qu’aurait une telle performance de la part de Mélanie de Jesus dos Santos, que ce soit à ces barres asymétriques, au sol, à la poutre ou au saut de cheval, autant de disciplines où excelle la quadruple championne d’Europe… Si la fédération délégataire serait la première à bénéficier des retombées de cette exposition médiatique, l’Ufolep en tirerait aussi quelques fruits.
Zones blanches. Si la gymnastique Ufolep est florissante, il n’en est pas moins compliqué de la développer en l’absence d’un tissu associatif préexistant. Venue de le Fédération sportive et culturelle de France (FSCF), la Jeanne d’Arc de Charleville-Mézières n’est ainsi restée qu’une saison à l’Ufolep Ardennes. « L’absence de compétition dans le département et la région Grand Est a beaucoup joué », regrette la déléguée, Lauriane Léonard. En revanche, la greffe a pris pour l’Avenir Gym-Côte d’Azur de Nice, arrivé en 2022 tout en restant affilié à la FFGym pour ses compétiteurs les plus motivés (voir EJ n°55, mars 2023). Si l’Avenir Gym reste à ce jour l’unique club Ufolep des Alpes-Maritimes, ses licenciés prennent plaisir à se mesurer aux voisins des Bouches-du-Rhône ou des autres comités de Provence-Alpes-Côte-d’Azur.
La députée Les Écologistes a présenté en janvier un rapport édifiant sur les manques des fédérations sportives en matière de violences sexuelles et de discriminations. Retour sur la démarche et les réactions suscitées.
Sabrina Sebaihi, pourquoi le groupe Écologiste-Nupes de l’Assemblée nationale a-t-il exercé en juin 2023 son « droit de tirage » pour initier une commission d’enquête sur les « défaillances de fonctionnement » des fédérations sportives ?
J’ai proposé cette commission d’enquête à mes collègues après avoir été alertée par des parents sur les problèmes rencontrés par leurs enfants avec leur entraîneur – plutôt de l’ordre de la brimade. En effectuant alors un travail de recherche et en compilant les articles et enquêtes parus sur les violences sexuelles ou sexistes, les discriminations racistes et homophobes et les questions financières et de gestion, nous avons pu mesurer leur nombre considérable et l’ampleur de ces problèmes. L’autre raison est l’actualité des Jeux olympiques et paralympiques : il nous a semblé que c’était le moment ou jamais d’aborder ces sujets. Enfin, c’était l’occasion d’affirmer que les valeurs du sport sont en lien avec celles que porte l’écologie politique aujourd’hui.
Les défaillances identifiées ont trait à la gouvernance, à la gestion financière et à la prévention et la lutte contre les violences et les discriminations. Pourquoi un périmètre aussi large ?
Nous avons beaucoup débattu de ce périmètre et, progressivement, nous nous sommes davantage focalisés sur les violences sexuelles et moins sur la partie financière, qui aurait bien exigé six mois de plus ! Mais il est apparu que les causes conduisant à ces dérives et ces défaillances sont systémiques et tiennent à la gouvernance : manque de contrôle d’un côté, absence de volonté de certaines fédérations d’avancer sur ces questions de l’autre. Quel que soit le type d’affaire, on retrouve aussi les mêmes mécanismes, dans un milieu où tout le monde se connaît et où l’on se protège l’un l’autre. Même si ça s’est avéré un travail colossal, nous avons donc conservé ces trois champs des violences sexuelles et sexistes, des discriminations racistes et homophobes et des questions financières.
Adjointe au maire d’Ivry-sur-Seine, le sport ne figurait pas parmi vos compétences : quelle connaissance du milieu sportif aviez-vous jusqu’alors ?
J’ai pratiqué un temps le tir à l’arc à l’Union sportive d’Ivry, mais c’est tout ! Cela m’a donc demandé beaucoup de travail pour comprendre le fonctionnement du monde sportif : les fédérations, les ligues, les clubs, le Comité national olympique et sportif, l’Agence nationale du sport, le principe de délégation… Cela fait beaucoup de rouages et d’entités, et j’y ai passé mon été ! Mais ce regard très extérieur m’a permis d’aborder ce dossier de manière moins passionnelle et peut-être plus objective que des personnes qui connaissent trop intimement le milieu sportif et ses dirigeants.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de ces 130 heures d’audition, lors desquelles vous avez entendu 193 personnes ?
La puissance des témoignages des victimes. Notre choix a été de commencer par entendre celles-ci, afin d’interroger ensuite les fédérations sur les réponses apportées et ce qui avait conduit à des défaillances. Cela a soudé les membres de la commission d’enquête, qui ont vraiment eu une approche transpartisane, hors de toute posture politique. Nous avons tous pris conscience de la gravité de ce qui s’est passé et se passe encore. Cela nous a poussé collectivement à aller au bout de ces auditions. Si nous avons pu paraître un peu durs auprès de certains dirigeants, nous avons été choqués de constater que certains d’entre eux n’avaient toujours pas pris conscience de la gravité des faits rapportés, ni même pris connaissance des auditions, ce qui interroge de la part de hauts responsables d’une fédération. Parfois aussi les réponses étaient hors sol, ou n’en étaient pas. Cela nous a conduit à faire un certain nombre de recommandations1.
Le président du Comité national olympique et sportif français, David Lappartient, a d’emblée mis en doute la légitimité de votre commission d’enquête2, puis la ministre des Sports a jugé le rapport « militant3 »…
Le premier nous a adressé un courrier avant même que le début de nos travaux : on est là dans l’a priori, et sans doute ignore-t-il que les parlementaires ont pour rôle de contrôler l’action du gouvernement et que nous sommes dans celui-ci dès lors que les fédérations ont une délégation de service public et doivent donc rendre des comptes.
De la part de la ministre, je trouve cela extrêmement grave. C’est balayer d’un revers de main un rapport de 300 pages et des témoignages où le mot qui est le plus souvent revenu est celui d’omerta. Je le répète, ce rapport est transpartisan et j’étais la seule élue écologiste de la commission. Certes, j’avais la plume, mais le rapport a été approuvé par tous les parlementaires qui y ont participé – à l’exception du Rassemblement national, qui a quitté la commission en cours de route et a voté contre à la fin. La ministre nie ainsi la réalité du problème systémique caractérisé par la relation ambivalente entre le ministère des Sports et les fédérations : celui de la faiblesse d’une tutelle qui ne s’exerce pas comme elle le devrait, avec des contrats d’objectifs trop vagues ou trop peu ambitieux et un contrôle insuffisant4. J’observe que la Cour des Comptes, entité peu suspecte de militantisme, pointe elle-même un système de « portes tournantes » entre les fédérations, le ministère et le CNOSF, où les mêmes personnes tournent entre ces trois entités. Pour en revenir aux fédérations, il apparaît que certaines ont envie d’agir mais n’en ont pas les moyens, quand d’autres semblent incapables de se réformer et ne montrent aucune envie d’agir.
Le rapport pointe, entre autres, « une gouvernance caractérisée par l’entre-soi et un défaut de culture démocratique », « des garde-fous insuffisants contre les dérives financières et les atteintes à la probité » et « l’échec de l’autorégulation dans le combat éthique », en pointant sur ce dernier point « l’absence » du CNOSF. Le tableau est-il si noir ?
S’il apparait très noir, c’est parce que nous nous sommes concentrés sur ce qui ne va pas. Or le sport fédéral en France c’est 17 millions de licenciés, 3 millions de bénévoles, 160 000 clubs. Roxana Maracineanu, précédente ministre des Sports, a également donné une forte impulsion à la lutte contre les violences sexuelles. Mais, concernant celles-ci, je continue de recevoir de très nombreux témoignages de victimes sur la difficulté de s’exprimer ou sur les entraves à la menée des enquêtes. Le rapport peut paraître dur, mais après l’écoute des victimes et les réponses de certains dirigeants, qui reconnaissent avoir entendu des bruits de couloirs au sujet de violences exercées par un entraîneur sans chercher à en savoir plus jusqu’à ce qu’elles soient médiatisées, on ne peut qu’être choqué. Le constat est peut-être dur, mais il est à la hauteur des témoignages et des auditions.
Vous pointez les discriminations racistes et homophobes et la haine affichée dans les tribunes des stades : mais que peuvent faire les fédérations ?
La prévention du racisme, il en est question depuis les années 1980. Mais sans grand effet, car comme l’exprime fort bien Lilian Thuram, il faut d’abord « déconstruire » les mécanismes qui conduisent aux discriminations. On a vu les polémiques autour du brassard arc-en-ciel que les footballeurs professionnels – qui, qu’on le veuille ou non, sont des modèles et des relais d’opinion – ont été invités à arborer en soutien à la lutte contre l’homophobie. Mais encore faut-il au préalable expliquer dans les clubs que l’homophobie tue. Et puis il faut aussi des sanctions : vider les tribunes, arrêter les matchs ou les retransmissions en cas de cris de singe ou d’insultes racistes, et interdire de stade ceux qui commettent ces délits – et de tous les stades, pas seulement celui du club dont ils s’affirment supporters. Mais puisque certains voient encore les chants homophobes comme du folklore…
Parallèlement à votre commission d’enquête, un comité co-présidé par Marie-George Buffet et Stéphane Diagana avait été initié par Amélie Oudéa-Castéra « pour renforcer l’éthique et la vie démocratique dans le sport ». Partagez-vous ses conclusions et propositions, présentées le 7 décembre dernier ?
Oui, en particulier concernant la création d’une autorité administrative indépendante. La ministre y est opposée alors que tous les rapports convergent pour demander la mise en place d’une autorité indépendante habilitée à traiter des violences et discriminations dans le sport, sur le modèle ce qui a pu être fait pour le dopage avec l’AFLD. Cela manque cruellement aujourd’hui.
Nous avons été plus loin que le comité sur certains champs, comme le contrôle d’honorabilité, en demandant de contrôler aussi le casier judiciaire et pas seulement le Fijais (Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, NDLR). J’observe d’ailleurs que depuis des efforts ont été faits pour améliorer la visibilité de la plateforme Signal sport, restée jusqu’alors méconnue du grand public. De son côté, le comité a beaucoup travaillé sur le renouvellement démocratique des fédérations. Nos travaux ont été complémentaires – nous les avons d’ailleurs auditionnés et pu échanger avec eux sur les auditions que nous avons respectivement menées – et nos conclusions se recoupent largement.
Propos recueillis par Philippe Brenot
(1) Le rapport en formule 60.
(2) Dans ce courrier du 19 juillet 2023, David Lappartient s’interrogeait sur « les objectifs recherchés » et les « finalités exactes » de la commission d’enquête, sur la proximité temporelle avec les Jeux olympiques et paralympiques, et voyait là une volonté de « porter un nouveau coup au modèle associatif français ».
(3) Le rapport pointait par ailleurs le montant de son salaire de directrice générale de la Fédération française de tennis, poste qu’Amélie Oudéa-Castéra occupait avant sa nomination en mai 2022.
(4) Au premier rang des « défaillances systémiques » ciblées par le rapport figurent celles de l’État dans son rôle de « garant de l’intérêt général ».
L’intérêt marqué pour le sport de l’ancien juge anticorruption Éric Halphen transpire volontiers dans les fictions qu’il a signées depuis une vingtaine d’années. En réunissant actualité sportive et judiciaire dans son dernier roman, il est aussi en prise avec son temps. Le personnage principal, Mehdi Azzam, est un footballeur du Stade de Reims accusé par son épouse de violences conjugales. « Différents acteurs, agente, journalistes, avocats, membres d’associations féministe ou antiraciste, entrent alors dans la ronde », résume la 4e de couverture. En juge d’instruction scrupuleux, attentif à explorer chaque piste, Éric Halphen porte ainsi beaucoup d’éléments au dossier. Un peu trop peut-être. Devant l’épaisseur du roman, le lecteur lutte parfois pour ne pas prendre un peu d’avance et filer directement à l’épilogue, qui lui tient en deux feuillets. Ph.B.
Panard n’est pas l’organe de la société de podologie mais « la revue qui met le sport en récit et les deux pieds dedans ». Fort bien d’ailleurs, au rythme de deux numéros annuels élaborés par un comité de rédaction où l’on identifie notamment la chercheuse ès lettres Julie Gaucher, la sociologue du sport Gaëlle Sempé, l’historien Philippe Tétard, les ex-entraîneurs de foot et de rugby Daniel Jeandupeux et Pierre Villepreux, ou encore l’écrivaine Fanny Wallendorf, auteure d’une biographie romancée de l’inventeur du fosbury flop.
Le dernier numéro prend prétexte de l’« olympiade culturelle » pour explorer la façon dont « l’art et le sport entrent en résonnance ». Par exemple à travers la double personnalité de la lanceuse de disque d’après-guerre, Micheline Ostermeyer, « médaillée olympique l’après-midi, pianiste virtuose le soir », ou le parcours plus actuel d’Omar Hasan, ex-rugbyman devenu chanteur lyrique, qui dialogue ici avec Pierre Rigal, qui lui lâcha les pistes en tartan pour prendre le virage de la danse contemporaine. Le metteur en scène et supporter du RC Lens Mohamed El Khatib analyse pour sa part les « liaisons dangereuses » entre « culture légitime et mépris de classe », tandis que Maxime Taffanel, passé des bassins de natation aux scènes de théâtre, offre un « récit entre deux eaux ». Pour la suite du sommaire, se rendre en librairie. Ph.B.
Panard n°6, spécial JO et olympiade culturelle, 162 pages, 19 €. En vente en librairie et en diffusion numérique sur cairn.info, ou sur abonnement
S’il fallait ne choisir qu’une exposition parmi celles qui fleurissent en lien avec le sport et les Jeux, ce serait celle du musée Marmottan : « En Jeu ! Les artistes et le sport 1870-1930 ». Les impressionnistes et ceux qu’ils inspirèrent furent en effet les témoins de l’engouement naissant pour les activités sportives : boxe, lutte, courses de chevaux… À l’image du Match annuel entre la Société Nautique de la Marne et le Rowing club immortalisé en 1883 par Ferdinand Gueldry et choisi pour l’affiche, jeux et joutes nautiques ont aussi inspiré Alfred Sisley, Gustave Caillebotte, Thomas Eakins ou Claude Monet. Mais, de ce dernier, qui connaissait Les Patineurs à Giverny ? La flamboyante Partie de tennis d’Octave Guillonnet est aussi une découverte. Le cyclisme est aussi à l’honneur avec Toulouse-Lautrec, Signac et Metzinger, et le rugby avec André Lhôte.
« En Jeu ! Les artistes et le sport 1870-1930 », musée Marmottan Monet, 2, rue Louis-Boilly, 75016 Paris. Jusqu’au 1er septembre.
Le directeur général de la Fédération internationale d’athlétisme Jon Ridgeon a provoqué un joli mais bref tintamarre en annonçant mi-février dans le podcast Anything but Footy le test d’un nouveau format de saut en longueur qui aurait sonné le glas de l’emblématique planche d’appel. Constatant qu’aux Mondiaux 2023 de Budapest un tiers des sauts étaient mordus, et estimant que cela nuisait au spectacle télévisé, Word Athletics envisageait de mesurer désormais la distance depuis l’impulsion, du moment que celle-ci était prise dans une « zone de saut ». En clair, plus de planche d’appel ni de plasticine pour détecter les sauts mordus, soit une révolution dans la mesure comme dans la technique de la discipline, sans parler des moyens technologiques exigés par cette évolution. « Nous mesurerons depuis l’endroit où l’athlète décolle jusqu’à l’endroit où il atterrit dans le bac à sable. Cela donnera plus de suspense à la compétition », argumentait Jon Ridgeon.
Mais la proposition a aussitôt essuyé un puissant tir de barrage, avec pour artilleur en chef Carl Lewis, quadruple champion olympique et double champion du monde de la discipline entre 1983 et 1996 : « La longueur est l’épreuve la plus difficile de l’athlétisme et cette réforme en ferait disparaître l’élément technique le plus délicat. Est-ce qu’on agrandit le panier de basket parce que beaucoup de joueurs ratent leurs lancers francs ? » a balayé la star. L’hérésie semble donc durablement écartée. Athlètes et entraîneurs auraient préféré que World Athletics se penche sur le problème des nouvelles planches d’appel en synthétique, bien plus glissantes et dangereuses que les traditionnelles planches en bois. Une nouvelle polémique en vue à l’horizon des Jeux olympiques ?
Page(s): 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33