Historien spécialiste du sport et de l’olympisme, Patrick Clastres enseigne à la Faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne.
Patrick Clastres, que peut-on attendre des Jeux de Paris ?
Pour un pays, les Jeux servent à faire du nation building, construire de l’unité nationale, et du nation branding, vendre sa marque à l’étranger. Mais cela a-t-il été travaillé ? Y a-t-il un message ou un vrai projet, en dehors de la volonté affichée de « faire de la France une nation sportive », formulation qui m’agace prodigieusement car la France est déjà une grande nation sportive. Le sport y est très largement pratiqué, avec 16 millions de licenciés et autant de pratiquants autonomes. Et pour ce qui est des médailles, le chercheur libanais Nadim Nassif a montré que, rapporté à sa population et sports olympiques et non olympiques confondus, la France se situait au 2e rang mondial derrière les États-Unis.
Ensuite, si on parle de l’accessibilité des Français les plus pauvres, c’est un autre sujet, celui de la démocratisation du sport. Et ce n’est pas avec un affichage sport-santé que l’on va attirer les jeunes, dont l’intérêt pour le sport est lié historiquement au fait que celui-ci leur offre un espace de liberté en dehors du travail, de l’espace domestique ou de l’agora politique : un espace de loisir à l’abri des regards de l’État, des parents, de l’employeur. Que depuis le 19e siècle les États soient prescripteurs à des fins d’éducation, de santé, de militarisation ou de construction du citoyen, c’est une chose… Mais on oublie trop la part ludique, de gratuité et de liberté, le plaisir du jeu.
Peut-on nourrir des inquiétudes quant à leur organisation ?
La France possède une grande capacité à organiser et médiatiser les grands évènements sportifs – voyez la façon dont la télévision publique a fait du Tour de France une réussite patrimoniale et touristique. Je ne m’inquiète pas de la capacité à organiser l’évènement sur de grands sites. On peut en revanche s’interroger sur l’attitude que montreront les spectateurs à l’égard des athlètes russes ou israéliens, et sur l’image que la France projettera à l’étranger : celle d’un pays qui ferme ses frontières et fait la chasse aux clandestins, repousse les sans-abris loin de Paris, ou celle d’un pays ouvert au monde, métissé, et aux jeunesses créatives ?
Les Jeux sont-ils de l’argent bien investis ?
On va dépenser 10 milliards d’argent public et privé : ça peut en valoir la chandelle si cela améliore une image de la France aujourd’hui écornée, celle d’une nation arrogante et en proie aux violences urbaines, alors que c’est un pays où, bon an mal an, la mixité sociale fonctionne. Je ne fais pas partie des anti-JO : je crois au contraire qu’ils peuvent être un outil. Mais aujourd’hui je ne sais toujours pas pourquoi on les organise…
Et quel est l’enjeu pour le Comité international olympique, dans un contexte international très tendu ?
Le CIO est un phénix. Cette institution historiquement et génétiquement conservatrice, et en rien démocratique, a failli disparaître à plusieurs reprises, mais a survécu chaque fois en mutant. Elle est aujourd’hui à un tournant, sous la menace d’évènements concurrents. Que ce soit pour faire pression sur le CIO – qu’elle accuse de faire le jeu de l’Occident –, ou pour aller plus loin, la Russie a annoncé pour juin des Jeux des Brics [pays émergents], et pour septembre des Jeux de l’Amitié qui réuniront les pays de l’Organisation de coopération de Shangaï. Des Jeux du monde non occidental, avec le risque de cassure de la planète des sports en deux pôles.
L’autre risque pour le CIO réside dans la sécession des fédérations internationales sportives. S’il semble aujourd’hui écarté, un autre grandit du côté des athlètes, qui depuis trois-quatre ans sont en train de s’organiser à l’échelle mondiale sur le modèle du tennis ou du golf, et réclament 40 % de l’argent généré par les Jeux. Le CIO affirme en reverser 90 %, répartis entre les comités nationaux olympiques et les fédérations internationales. Mais, hors des contrats de marque, les athlètes, eux, ne touchent rien, si ce n’est de la part des États. Recueilli par Ph.B.
Ex-cycliste au sein des équipes Festina puis Jean-Delatour, Christophe Bassons est conseiller régional antidopage en Nouvelle-Aquitaine et chargé du suivi des centres de formation des clubs professionnels.
« Je n’attends pas grand-chose d’un évènement qui, comme tout grand évènement sportif, est surtout utilisé à d’autres fins que le développement de la pratique sportive. Oui, les Jeux peuvent donner envie à certains de pratiquer mais c’est avant tout une vitrine pour les pays, une "guerre sportive" avec pour enjeu le nombre de médailles. Je préfèrerais qu’on invite les sportifs à viser l’excellence : non pas être "plus fort que l’autre" mais "plus fort que soi", comme l’exprimait Albert Jaccard. Moi-même, sportif professionnel je m’étalonnais par rapport à moi-même, ce pourquoi que je n’ai pas fait les mêmes choix que d’autres. Je n’étais pas un compétiteur tel que mes directeurs d’équipe l’auraient souhaité, car à tout prendre je préférais améliorer un chrono personnel que de faire une place en course. Cela a forcément un lien avec la tentation du dopage : l’un des principaux facteurs sur lequel nous travaillons pour éviter la triche et les conduites déviantes, c’est la motivation intrinsèque : ne pas avoir besoin de se sentir meilleur que les autres pour s’estimer soi-même. Mais aujourd’hui, on ne fait que critiquer, se comparer, et aux Jeux ce que l’on regarde c’est le tableau des médailles. »
Aurélie Bresson a fondé la revue Les Sportives et préside la Fondation Alice Milliat, du nom de cette grande pionnière du sport féminin.
« Chaque nouvelle olympiade renforce la visibilité du sport féminin. On l’a vu avec l’entrée de la boxe féminine au programme de Londres 2012, et des filles qui découvrent à cette occasion qu’elles peuvent aussi pratiquer cette activité. Alors que le sport féminin est très minoritaire dans les retransmissions télévisées, le CIO impose un traitement égal des épreuves féminines. C’est pourquoi les Jeux olympiques et paralympiques constituent une formidable fenêtre en termes de visibilité, de nature à "fausser" les chiffres du CSA sur l’année ! J’observe aussi que la parité fonctionne dans les deux sens, avec l’ouverture aux hommes de la natation synchronisée. L’inscription de nouveaux sports moins médiatisés [comme l’escalade, sport additionnel à Tokyo et confirmé à Paris] permet aussi de montrer que des femmes y ont fait leur chemin et pratiquent à très haut niveau.
J’attends enfin que la parité dans le nombre d’athlètes se traduise dans la gouvernance et les renouvellements de présidences de fédération qui vont s’opérer dans la foulée des Jeux. Avec peut-être de nouveaux modèles à inventer, tel celui d’une co-présidence assurée par un homme et une femme. »
Ex-député de la Loire, Régis Juanico dirige une société de conseil spécialisée dans les politiques publiques et la lutte contre la sédentarité.
« Ne boudons pas notre plaisir ! Les Jeux olympiques et paralympiques seront une très belle fête pour tous les Français qui s’apprêtent à les vivre intensément au rythme des exploits attendus de nos athlètes tricolores "à la maison". Mais si les Jeux sont un événement sportif planétaire grandiose, ils sont aussi par définition éphémères. Une fois la compétition sportive achevée, l’État est attendu à l’automne sur ce qu’il laissera en héritage sportif, éducatif et sociétal durable dans l’ensemble des territoires. Et si des Jeux à domicile se traduisent par un afflux de nouveaux licenciés à la rentrée dans les disciplines sportives où nos couleurs auront particulièrement brillé, les bénévoles ne peuvent pas tout. Le premier enjeu devra alors être de renforcer les moyens humains d’encadrement des associations sportives, avec des éducateurs supplémentaires pour qu’aucun club ne se retrouve contraint de refuser des jeunes frappant à leurs portes. Le deuxième enjeu est plus structurel : les moyens budgétaires pour le sport ne doivent pas connaître un affaissement – redouté par tous les acteurs – après les Jeux. Nous devons passer d’une logique d’expérimentation ponctuelle de certains dispositifs (cours d’école actives, prescription d’activité physique adaptée…) à un déploiement national effectif. Enfin, dans le cadre de la Grande Cause nationale 2024, l’Ufolep coordonne le dispositif "Le Sport au cœur des villages" pour l’organisation de 500 évènements sportifs dans des communes rurales de moins de 3 500 habitants. Ce dispositif sera-t-il pérennisé et amplifié en héritage des Jeux l’an prochain ? Chiche ! »
Dominique Charrier est maître de conférences HDR à l’Université Paris-Saclay, spécialiste de l'analyse socio-économique et prospective des politiques publiques sportives.
« J’essaie d’avoir une approche contradictoire de l’évènement : ni militant pro-Jeux ni opposant par principe, la position de principe étant une posture assez partagée dans le milieu universitaire. Je m’efforce également de dépasser à la fois les polémiques – sans pour autant m’en désintéresser – et les éléments de langage du comité d’organisation, lesquels sont massifs et très bien travaillés.
J’aborde ces Jeux sans illusions sur leur impact économique et social sur la Seine-Saint-Denis, qui est le territoire le plus directement concerné : un évènement, même de cette taille, ne peut y régler les problèmes de santé, d’éducation, de logement, d’emploi, de formation ou de sécurité. En même temps, un nombre non négligeable d’habitants vont vivre des expériences individuelles et collectives marquantes touchant à l’activité sportive, la santé ou l’appartenance à un territoire. Le fait que plus de 180 000 places gratuites seront distribuées en Seine-Saint-Denis n’est pas tout à fait anecdotique : cela représente plus de 10% de la population. Même si bien sûr ce n’est pas à la hauteur des enjeux de ce territoire. »
Naoilou Yahaya est élue nationale et présidente du comité de Mayotte ; Sébastien Desmots est référent de la commission nationale gymnastique ; Karine Roussier est la fondatrice de l’association parisienne Up-Sport.
Naoilou Yahaya : « Une organisation féérique »
« Je souhaite que la France organise "des Jeux de folie", avec une sécurité sans failles. Que Paris soit une capitale d'accueil où les délégations étrangères se sentent bien. Une organisation féerique, pleine de couleurs, de lumières… Des moments magiques, de joie, de bonheur, d’échange, de découverte… Et que la France décroche plein de médailles. Tout simplement. »
Sébastien Desmots : « Une vitrine pour disciplines peu médiatisées »
« Me concernant, les Jeux restent un moment très attendu car ils sont la vitrine de disciplines qu'on voit peu en dehors de cet évènement majeur. Ils mettent également sous les feux de l’actualité des sportifs qui ne possèdent pas le statut professionnel et doivent faire avec leurs propres moyens pour les entrainements, les stages ou les déplacements. C'est enfin un moment de grande convivialité où le monde se réunit autour du sport de manière générale, sans en pointer un en particulier. Et pour les sélectionnés français, il y a l'honneur de représenter leur pays à domicile, et une grande fierté et de beaux souvenirs en cas de podium. »
Karine Roussier : « De la cohésion sociale »
« Nous attendons des Jeux qu’ils soient une grande fête collective qui donne une nouvelle place au sport, afin que celui-ci fasse partie du quotidien de tous et que l’activité physique soit considérée comme un outil essentiel pour répondre aux enjeux de notre société : le bien-vieillir d’une population senior croissante ; la santé de personnes de plus en plus sédentaire et souffrant d’obésité, du diabète, ou atteint du cancer ; et enfin la cohésion sociale, dans une société de plus en plus fracturée. Nous attendons enfin des Jeux de Paris qu’ils initient un soutien durable aux acteurs du socio-sport, indispensables à l’accès au sport des publics les plus vulnérables et les plus éloignés de la pratique. Et, accessoirement, nous attendons des Jeux des médailles. »
Nessa Kankwenda, « breakeuse » licenciée à l’Ufolep, a porté la flamme olympique le 15 mai à Perpignan (Pyrénées-Orientales).
« J’ai 16 ans, je suis élève de seconde et je pratique le breakdance à l’association Mindset, mot qui signifie « état d’esprit, mentalité, attitude » en anglais. Je suis à la fois licenciée à l’Ufolep et à la Fédération française de danse, dont j’ai intégré le pôle Espoir. En compétition je concours en individuel, sous forme de battle : en 2023, j’ai été championne d’Occitanie et médaillée de bronze aux championnats de France, catégorie moins de 16 ans.
J’ai commencé par le hip-hop et la capoeira à sept ans et demi, et très vite découvert le breakdance. Puis mes parents ont créé spécialement pour moi une association qui propose aussi de la remise en forme et fitness pour un public féminin. Mes heures de pratique étant placées juste après les cours, je peux enchaîner et faire ensuite mes devoirs le soir sans aucun problème. Mes parents, Wilfred et Prisca, ont eux-mêmes dansé lorsqu’ils étaient plus jeunes, et à 8 ans ma petite sœur Aya fait aussi du breakdance désormais !
C’est la première fois que notre discipline est présente aux Jeux, et pour tous les danseurs c’est une forme d’aboutissement, même si la discipline ne sera plus au programme à Los Angeles dans quatre ans.
C’est sur proposition de la mairie de Perpignan que j’ai été la troisième relayeuse sur le parcours de la flamme, qui allait du parc des sports au palais des rois de Majorque. Je devais me tenir à 18h10 précises au numéro 15 de l’avenue Paul-Alduy. Il pleuvait, mais pas trop. Chaque relayeur avait seulement 100 mètres à parcourir, mais ce fut une expérience incroyable, avec beaucoup d’ambiance et de public, dont ma famille et mes proches. Et quand le lendemain au lycée je suis arrivée avec mon maillot de relayeuse, tout le monde m’a félicitée ! »
Président d’un club de tir à l’arc Ufolep de la Nièvre, Frédéric Duquenoy sera l’un des volontaires affectés aux épreuves organisées du 25 juillet au 4 août sur l’esplanade des Invalides.
« Je me suis porté volontaire dès l’ouverture des candidatures, juste après la mise en vente des premiers billets, bien trop chers pour moi. Comme je voulais absolument vivre les JO, c’était le moyen d’y aller et, mieux encore, d’y participer de l’intérieur », explique Frédéric Duquenoy, 63 ans, ex-cadre à La Poste.
Frédéric a été retenu après avoir répondu aux 200 questions d’un test de personnalité en ligne. Avoir signé sa première licence à la FFTA en 1977, à Bordeaux, et ensuite participé à plusieurs reprises aux championnats de France de tir nature, n’a pu que jouer en sa faveur.
C’est toutefois à l’Ufolep que s’est déroulée la seconde partie de sa carrière : « Quand en 2012 j’ai voulu reprendre, en l’absence de tout club dans le sud Nièvre j’ai voulu en créer un. J’ai toqué à la porte de la FFTA en sollicitant un peu d’aide pour démarrer, mais je n’ai pas été accueilli à bras ouverts. Alors qu’à l’Ufolep le délégué de l’époque, Fabrice Sauvegrain, m’a aussitôt dégoté le matériel – arc, flèches, cibles – qui m’a permis créer la Compagnie d’arc des Amognes. » Ceci avec le soutien de la mairie de Saint-Bénin-d’Azy, chef-lieu de canton, qui a mis à disposition son gymnase, et l’appui d’une petite entreprise locale d’informatique, sponsor du club à ses débuts.
La Compagnie d’arc des Amognes – du nom de ce coin du Nivernais – se sent moins seule dans la Nièvre et en Bourgogne-Franche-Comté depuis que Frédéric a contribué à la création de sections tir à l’arc dans des associations multisports de Marzy et Guérigny. Tout naturellement, il anime la commission technique départementale, ce qui n’a pas nui à son CV. Ni le fait que son club, fort de 42 licenciés, ait organisé le National jeunes et sarbacane en 2017 et 2022.
« Mon rôle sur les épreuves des Jeux olympiques sera le service aux athlètes, et notamment les orienter sur le site de la compétition, explique Frédéric. Et lors des Jeux paralympiques, pour lesquels j’ai été aussi retenu, j’assurerai la sécurité et l’aide aux arbitres internationaux. » Soit au plus près des cibles.
Au-delà de la grande fête populaire espérée, l’héritage tant vanté des Jeux olympiques et paralympiques se mesurera à leur impact sur l’activité physique et sportive des Français. Un objectif partagé par l’Ufolep.
« Jours heureux » : c’est le titre de l’ouvrage1 où l’historien Jean Garrigues raconte seize journées d’émotions collectives où les Français eurent le sentiment de faire nation. La première date est celle de la fête de la Fédération qui, le 14 juillet 1790 au Champ de mars, donna « l’illusion fragile d’une France rassemblée autour de son Assemblée et de son roi » ; la dernière est celle du 12 juillet 1998, quand le pays communia sur les Champs-Élysées avec le onze black-blanc-beur vainqueur de la Coupe du monde de football. Et qu’en sera-t-il du 26 juillet au 8 août prochains, durant les Jeux olympiques d’été de Paris 2024 ? Y aura-t-il matière à ajouter un nouveau chapitre ?
Attente ou désintérêt ? Débarquée le 8 mai à Marseille du pont du Belem en provenance de Grèce, la flamme olympique aura joué son rôle fédérateur et suscité l’attente, avec un réel succès public tout au long de son parcours2.
Mais si l’on aura beaucoup entendu parler des Jeux olympiques de Paris 2024 avant même qu’ils débutent, les objets de critique et les sujets d’inquiétude n’ont pas manqué : éloignement de réfugiés et sans-abris de la capitale, logements étudiants temporairement réquisitionnés, craintes d’une congestion des transports parisiens, menace sécuritaire accrue et contexte géopolitique caractérisé par l’ombre portée de la guerre à Gaza et en Ukraine.
Opposants inaudibles. Les opposants aux Jeux olympiques ont toutefois été très peu audibles. Comme à chaque rendez-vous olympique, le courant critique du sport incarné par Jean-Marie Brohm a publié un numéro à charge de la revue Quel Sport ?3 sans que son écho dépasse son cénacle. Sur le terrain, les groupes militants ont également peiné à populariser leur message. Ils étaient néanmoins un millier à défiler à Marseille à l’arrivée de la flamme pour dénoncer des « JO de riches » dont il n’y a « pas de quoi être fier », pointant à la fois la logique capitaliste de l’évènement, ses méfaits en termes de gentrification urbaine et de « policiarisation » de l’espace public, l’exploitation des travailleurs sans-papier sur les chantiers, le coût écologique des épreuves de surf en Polynésie, et en réclamant l’exclusion d’Israël. Les 21 et 22 mai en Seine-Saint-Denis, le collectif Saccage 2024 a aussi mobilisé quelques dizaines de personnes contre l’impact écologique et social des Jeux au plan local, de la disparition des jardins ouvriers d’Aubervilliers à l’effet nocif d’un nouvel échangeur autoroutier sur les poumons des enfants du groupe scolaire Pleyel-Anatole-France de Saint-Denis. Mais, quelle que soit leur pertinence, ces protestations sont restées isolées.
Argumentaire rodé. Le comité d’organisation (Cojop) de Paris 2024 et les pouvoirs publics ont donc pu dérouler sans guère de contradiction un discours bien rodé. La plaquette diffusée en mars par le ministère des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques vantait ainsi « des Jeux qui transforment le territoire et le cadre de vie » (en particulier en Seine-Saint-Denis), « contribuent à une société plus inclusive » (avec un accès amélioré des personnes en situation de handicap aux transports et aux « parasports »), « bâtissent une nation sportive » et « démontrent le savoir-faire français pour des évènements sportifs durables ». Les organisateurs et leurs partenaires ont toutefois dû revenir sur certaines promesses ou ambitions, comme le principe de gratuité des transports en commun pour les détenteurs de billets le jour de la compétition. Au contraire, les tarifs augmenteront sur l’ensemble de la période. Par ailleurs, la plupart des nouvelles lignes ou prolongements du métro et du RER mis en avant lors de la candidature n’ont pu être achevés dans les délais.
Fédérations multisports engagées. Si les fédérations multisports affinitaires, à commencer par l’Ufolep, ont souvent émis des réserves à l’égard d’un évènement que certains considèrent comme un « barnum » déconnecté des activités physiques de terrain, elles ont apporté leur soutien à Paris 2024, parfois en pesant le pour et le contre comme la FSGT4 dans le numéro de mai de son mensuel Sport & Plein Air : sans méconnaître les craintes et critiques formulées par les opposants aux Jeux, cette fédération très implantée en Seine-Saint-Denis fait le pari de l’héritage en termes d’infrastructures pour ce département sous-doté au regard de la densité de sa population. L’Ufolep se situe sur la même ligne, avec des attentes similaires en matière de développement de la pratique sportive et une ambition de cohésion sociale qui s’incarne aussi dans son rôle moteur dans le dispositif « Le sport au cœur des villages » développé avec le ministère des Sports en appui de la Grande Cause nationale 2024.
Objectif licences. Le temps viendra ensuite à l’automne de dresser un premier bilan des Jeux olympiques et des Jeux paralympiques qui leur succèderont du 28 août au 8 septembre. La prise de licences sera le premier élément de mesure. Anticipant sur les vocations suscitées par les exploits des athlètes, notamment français, le ministère a demandé aux fédérations de présenter dès début juin un plan d’action afin de pouvoir accueillir toutes celles et ceux qui, on l’espère, se bousculeront au portillon des associations sportives.
Emotions sportives. Entre temps, il y a aura eu l’évènement que, sans être des compétiteurs de haute volée, beaucoup de pratiquants Ufolep attendent, et qui le moment venu retiendra aussi l’attention de beaucoup de ceux qui auront affiché jusqu’alors leur désintérêt. Car comment ne pas être curieux de voir à quoi ressemblera cette cérémonie d’ouverture fluviale ? Et ces épreuves de BMX, breaking, skateboard et basket 3x3 accueillies place de la Concorde ? Et ce marathon final qui ira de l’hôtel de Ville au château de Versailles avec arrivée sur l’esplanade des Invalides, et dont le parcours accueillera la veille les foulées de purs amateurs ? Par ailleurs, près de 4 000 places ont été distribuées par l’Ufolep au sein de son réseau, tant aux bénévoles des associations sur le quota accordé à la fédération qu’à des personnes en précarité grâce à la « billetterie populaire » mise en place par Paris 2024.
Et puis, comme le rappelait il y a vingt ans dans nos colonnes l’écrivain et ex-grand reporter à l’Équipe Christian Montaignac5, sitôt les Jeux ouverts la magie opère : celle des émotions intenses vécues par les athlètes, et aussitôt partagées par le public, dans le stade ou derrière un écran de télévision. « Moi qui suis les Jeux depuis 1972, j’y retrouve à chaque fois la fébrilité, l’angoisse, l’impatience d’une première fois. L’éclat du sport est dans l’instant, et cet éclat brille au Jeux », notait le journaliste en prenant en exemple des « moments rares » vécus à Athènes 2004 par la nageuse Laure Manaudou ou la gymnaste Émilie Le Pennec, médaille d’or surprise aux barres asymétriques.
Dans Jours heureux, Jean Garrigues parle pour sa part de « l’allégresse festive d’une exaltation du présent » en évoquant « les moments de liesse et d’unité » inventoriés par ses soins, et caractérisés selon lui par « l’espérance d’un avenir meilleur ». Sans aller jusque-là, au-delà des injonctions et slogans, ce serait déjà bien si les Jeux contribuaient à la fois à « faire société » et à installer davantage dans le quotidien des Français la pratique physique et sportive. Philippe Brenot
(1) Jours heureux, quand les Français rêvaient ensemble, Payot Histoire, 2023, 254 pages, 21 €. « Les Jours heureux » était également l’intitulé du programme adopté le 15 mars 1944 par le Conseil national de la Résistance.
(2) Même si l’intérêt des Français pour les Jeux aurait reculé de 8 points de janvier à avril, à 51 % (enquête Toluna Interactive réalisée en avril dans huit pays, dont 1084 personnes en France). Interrogés sur leur intention d’aller voir passer la flamme d’ici au 26 juillet, trois quarts des Français interrogés ont répondu par la négative. Cela laissait malgré tout beaucoup de spectateurs potentiels...
(3) Fédération sportive et gymnique du travail.
(4) « Jeux de Paris 2024 sous le joug olympique », n° 39-40, mai 2024, 298 p., 22 €. En retour à la question « Qu’attendez-vous des Jeux ? », l’animateur de la revue Fabien Ollier nous a par ailleurs adressé ce message péremptoire : « Contrairement à En Jeu qui s’illusionne sur les JO de Paris et distille l’idéologie olympique à tout va, Quel Sport ? a mené une campagne contre les JO 2024 depuis avril 2015. (…) Il est donc absolument hors de question que je réponde à votre question débile destinée aux microcéphales de l’Ufolep. Votre "pluralisme" est une mascarade qui ne prend au piège que les demeurés des stades. »
(5) En Jeu n°382, octobre 2004.
La convention triennale signée à l’AG de Lille avec l’Agence nationale des chèques-vacances prolonge un partenariat aux publics diversifiés.
En dix ans d’une fructueuse collaboration, l’Ufolep et l’Agence nationale des chèques-vacances ont fait bénéficier plus de 10 000 personnes de séjours socio-sportifs. Initialement ciblé sur l’accès aux vacances des jeunes de 16 à 25 ans de territoires urbains et ruraux en difficulté, au fil des années ce partenariat s’est également élargi à d’autres publics accompagnés par l’Ufolep et son pôle sport société : celui de l’aide sociale à l’enfance, de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), du réseau des CIDFF1 et du Mouvement du Nid2 et des maisons sport santé Ufo3S. Dans le même temps, un nombre croissant de comités départementaux Ufolep, partout sur le territoire, s’est engagé dans ces actions, avec 48 comités concernés en 2023.
Vision commune. La solidité de ce partenariat repose sur une vision commune : celle de séjours visant à répondre aux inégalités d’accès aux vacances, mais également pensés comme des outils d’éducation et d’insertion sociale et professionnelle. Cette approche qualitative, au-delà des aspects opérationnels et du nombre de bénéficiaires, explique la longévité d’un partenariat qui, en termes financiers, est devenu le deuxième le plus important pour l’Ufolep à travers en signant une convention d’un montant de 1 500 000 € sur trois ans. L’Ufolep et l’ANCV ont aussi su s’adapter aux contraintes sanitaires engendrées par l’épidémie de Covid-19 en créant un dispositif de sortie à la journée qui a permis de maintenir les actions durant cette période.
Durée variée. La durée de ces séjours varie selon l’objectif poursuivi. On trouve ainsi des séjours dits d’« oxygénation » allant de 1 à 3 jours, et d’autres dits de « cohésion » (4 à 19 jours), « starter » (3 à 7 jours pour des lancement de programme socio-sportif) et enfin de « rupture » (plus de 11 jours). La durée moyenne des séjours réalisés est toutefois de 3 jours.
Outil fédératif. Aujourd’hui, les séjours sociosportifs sont pleinement intégrés aux différents programmes développés par l’Ufolep. Ils permettent tout particulièrement de favoriser la cohésion de groupe dans les actions d’insertion sociale ou professionnelle, à l’instar des « parcours coordonnés » pour les jeunes « décrocheurs », ou des initiatives en direction de femmes victimes de violences menées depuis plusieurs années avec les CDIFF, et demain avec le Mouvement du Nid. Ces séjours sont aussi un outil de mobilisation dans le cadre d’une démarche d’éducation et d’intégration (dispositifs Primo-Sport et Engagé.es) et auprès des publics de la PJJ et de nos actions sport-santé. Ces séjours sont ainsi devenus des outils pédagogiques contribuant pleinement à la mise en œuvre des projets fédéraux. Et ils s’inscrivent d’autant plus naturellement dans l’approche pédagogique de l’Ufolep que l’on retrouve des traces de formats de séjours similaires mis en place il y a plus de 40 ans dans notre réseau, alors que le concept de sociosport émergeait tout juste.
Programme 18-25 ans. La volonté commune de poursuivre et renforcer cette approche en touchant toujours davantage de publics se traduira dans la convention triennale signée en avril à Lille par la mise en place de nouveaux services, notamment via le programme 18-25 ans, qui vise à faciliter ledépart en vacances en toute autonomie de jeunes majeurs. Cette aide financière est désormais proposée en complémentarité des séjours socio-sportifs aux jeunes de 18 à 25 ans des associations et structures affiliées à l’Ufolep.
Adil El Ouadehe, DTN adjoint de l’Ufolep en charge du pôle sport société
(1) Centres d’information sur les droits des femmes et des familles.
(2) Le Mouvement du Nid, avec lequel l’Ufolep vient de signer une convention, extrait les personnes prises au piège des réseaux de prostitution.
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