Né en 1975, Fabien Archambault est maître de conférences en histoire contemporaine à Paris I-Panthéon-Sorbonne. Spécialiste des sports collectifs et en particulier du football dans l’Italie de l’après-guerre, il est l’auteur de Coups de Sifflets. Une histoire du monde en onze matchs et de Les Légendes du siècle. Une histoire des Jeux en douze médailles (Flammarion, 2024, 251 p., 19 €).
Je me souviens d’une sortie cycliste sur le plateau d’Albion avec mon père. J’ai 13 ans, nous sommes en vacances dans le Lubéron, il fait une chaleur étouffante et ce jour-là je découvre l’acide lactique : les muscles qui tétanisent, puis se dénouent quand l’instant précédent vous pensiez mourir à vélo. Mon premier souvenir d’effort physique intense, et d’endurance.
Je me souviens du France-Brésil du 21 juin 1986, jour de fête de la musique, regardé à la télé chez ma grand-mère, qui demandait : mais où est Pelé ? « Il ne joue plus mais à la place il y a Zico, le Pelé blanc », lui avait répondu mon père, un brin exaspéré.
Très sportif, mon père était représentatif de ces baby-boomers qui, dans les années 1960-70, ont essayé de multiples disciplines, y compris les anciennes pratiques bourgeoises comme le ski et le tennis. Ceci sans renier l’héritage populaire – cyclisme et football – et au cœur d’une culture communiste qui accordait une grande importance aux Jeux olympiques et aux valeurs du sport amateur. Moi-même j’ai baigné dans cette culture et, enfant, j’ai fait du basket, de la gym, du tennis, du judo, de la natation, de la course à pied, etc., dans les sections du club omnisport de Villejuif (Val-de-Marne).
J’ai aussi d’excellents souvenirs de sport au collège – le rugby mixte filles-garçons au stade Maurice-Baquet par exemple –, avec des profs d’EPS soucieux de s’adresser à tous les élèves et de prouver que rien ne leur est impossible.
Étrangement, j’ai peu pratiqué les sports collectifs qui sont ensuite devenus pour moi objets d’étude. Mon intérêt pour le football est ainsi né en 1993 au stade olympique de Rome, lors d’un match AS Roma-Atalanta Bergame. La ritualisation qui l’accompagnait – entrée solennelle des équipes, tifos, chants des supporters – m’a fait basculer dans la recherche sur la place du calcio dans la société italienne. Rien à voir avec la sono criarde des matchs de l’AJ Auxerre que mon père – originaire de l’Yonne – m’emmenait voir au très champêtre stade de l’Abbé-Deschamps.
Parmi les chapitres évoqués dans mon livre sur les Jeux olympiques, je me souviens avoir vu, très tôt un matin, le concours de gymnastique de Séoul 1988, remporté d’un cheveu par la Soviétique Elena Chouchounova devant sa rivale roumaine, un an avant la chute du Mur de Berlin. Et l’un de ceux qui me tiennent le plus à cœur contextualise la victoire de l’Éthiopien Abebe Bikila au marathon de Rome 1960. Au-delà de sa dramaturgie – le triomphe d’un athlète noir de l’ex-colonie, qui à la lumière des flambeaux passe pieds nus sous l’arc de Constantin, où vingt-cinq ans plus tôt Mussolini faisait défiler ses troupes de conquête – l’épisode a eu en Italie un retentissement politique considérable. Il symbolise le renversement d’alliance de la Démocratie Chrétienne qui, après les émeutes suscitées par l’entrée des néofascistes au gouvernement, s’ouvre aux socialistes. La victoire de Bikila, c’est aussi l’ouverture au Tiers-Monde, et pour les catholiques les prémices de l’œcuménisme du concile Vatican II.
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