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Guillaume Dietsch, comment fédérer la génération connectée ?

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Quel rapport les jeunes d’aujourd’hui entretiennent-ils avec le sport et comment leur faire retrouver le chemin des associations et des clubs ? Décryptage avec Guillaume Dietsch, enseignant en Staps à l’université de Créteil et auteur de « Les jeunes et le sport. Penser la société de demain » (De Boeck supérieur).

 

Guillaume Dietsch, la génération née à la charnière des années 1990-2000 a été biberonnée aux écrans, à Internet et aux réseaux sociaux. En quoi cela détermine-t-il son rapport au sport et ses modes de pratique ?

Au-delà d’une catégorie d’âge – la génération « Z » –, on observe une évolution durable de la culture jeune, dans les normes et les valeurs partagées. Le sport fait toujours partie de celle-ci, mais les écrans et les technologies bousculent la manière de s’engager dans une pratique. Les jeunes développent des communautés connectées, entre individualisme et besoin de se socialiser. Cette digitalisation contraint le sport associatif à revoir son accessibilité et son offre auprès d’une génération qui est dans l’immédiateté, le zapping, et davantage dans le sport plaisir que dans la compétition organisée. Aujourd’hui, les loisirs se consomment un peu comme sur Netflix et toutes les études montrent que les jeunes privilégient plutôt la multi-pratique. C’est à prendre en compte pour capter ce public.

 

Vous pointez « la chute abyssale des licenciés entre 15 et 20 ans, toutes fédérations confondues » : quelles en sont les raisons ? Trop de contraintes, quand city-stades et terrains de basket urbains sont en libre accès et que fleurissent les structures privées de foot à 5 et de padel ?

Tout en se gardant de considérer les jeunes comme une catégorie homogène, certaines contraintes scolaires, familiales (la difficulté d’un parent isolé d’accompagner un adolescent dans sa pratique) ou professionnelles (si on prend en compte les jeunes adultes jusqu’à 29 ans), peuvent jouer. Il y a aussi une problématique de santé : physique à travers les maux de la sédentarité et de l’obésité, et mentale avec un mal-être et des troubles psychologiques plus fréquents parmi cette génération qui a pris de plein fouet l’épidémie de Covid et les confinements. Cela freine l’engagement dans une activité physique et sportive. Se pose enfin la question du coût, et plus encore de l’inadéquation de l’offre. Le modèle sportif fondé sur des championnats et des compétitions ne correspond plus à ce que recherchent majoritairement les jeunes. Même si certaines fédérations, comme l’Ufolep, proposent à la fois un large éventail d’activités et des pratiques loisirs, mixtes, intergénérationnelles et plus inclusives.

 

Vous mentionnez l’obstacle du coût. Pourtant, en dépit de celui, les jeunes fréquentent de plus en plus les salles de sport privées…

C’est en effet une tendance marquée, même si on peut faire remonter aux années 1980-90 le développement parallèle des pratiques auto-organisées dans des city-stades ou les skate-parks et le boom des salles de remise en forme. Cela s’est encore accentué dans les années 2000-2010. Mais l’évolution forte la plus récente consiste dans la part croissante des jeunes parmi le public ces salles privées autour de pratiques de musculation ou à forte intensité, et une motivation qui tient d’abord du besoin de se défouler. S’y ajoute une dimension narcissique et esthétique caractéristique de cette période de construction identitaire. Aujourd’hui, les moins de 30 ans représentent plus de la moitié des adhérents de ces structures.

 

Là aussi, les réseaux sociaux sont au cœur des enjeux d’image de soi, et contribuent à ce boom de la musculation1

Clairement. Les jeunes suivent aussi des influenceurs comme le youtubeur Tibo Inshape (« Thibaud affûté »), avec une large diffusion de contenus numériques portant sur l’entraînement physique et sportif. Cela modifie la relation entre l’éducateur et le pratiquant : on est moins dans la transmission de la connaissance et davantage dans l’accompagnement. Je vois cela à travers mes étudiants en Staps2, qui arrivent déjà avec un programme d’entraînement préétabli… J’ajouterai que le développement de salles « low-costs », où la diversité du public tranche avec le cliché ancien des mannequins hommes et femmes bodybuildés, permet à une nouvelle frange de pratiquants et pratiquantes de franchir le pas. Et, sans les comparer aux associations sportives, ces salles sont malgré tout des espaces de socialisation.

 

L’intérêt des jeunes pour les sports de combat, boxes ou arts martiaux mixtes (MMA), peut aussi surprendre les plus âgés…

Cela rejoint le boom de la musculation en salle et du street workout, et touche aussi un public féminin. L’engouement pour le MMA et les sports de combat, avec des contenus qu’on s’échange, est caractéristique de la culture jeune actuelle. L’association aux pratiques de musculation est favorisée par les boucles algorithmiques engendrées par le traçage des centres d’intérêts sur les smartphones. Les jeunes « suivent » aussi davantage un influenceur ou un sportif de haut niveau, avec le storytelling construit autour de leur personne, qu’une équipe ou un collectif. C’est symptomatique d’une société hyper-individualiste.

 

Le football est omniprésent dans leur imaginaire, voire envisagé dans les milieux populaires comme un débouché professionnel et le plus court chemin vers l’aisance matérielle…

Il y aurait aussi beaucoup à dire sur les modes de pratique du football, hors du cadre fédéral, mais oui, c’est un peu la génération Mbappé ! C’est aussi une génération qui a du mal à se projeter sur la temporalité longue, a peu conscience de tous les efforts nécessaires pour arriver à cette réussite, et mésestime la dimension très hypothétique de celle-ci au regard du petit nombre d’élus.

 

Et les jeunes sont-ils intéressés par les prochains Jeux olympiques ?

Pas de manière marquée ou majoritaire semble-t-il... Cela tient en partie à leurs modes de pratique éloignés des sports traditionnels. C’est pourquoi les promoteurs de Paris 2024 ont tenu à inscrire de nouvelles disciplines plus en phase avec la culture jeune, comme le breaking, le skateboard ou l’escalade, qui elle était déjà présente à Tokyo en 2021.

 

Quelles questions les clubs sportifs doivent-ils se poser pour toucher davantage les jeunes, dans l’idée de jouer pleinement leur rôle de lien social ?

Ils doivent d’abord prendre en compte les aspirations et les motivations exprimées majoritairement : santé, plaisir, convivialité, défoulement. La compétition n’arrive souvent qu’en 7e ou 8e position dans les enquêtes. Certes, l’Ufolep a depuis longtemps évolué en la matière, mais de façon générale cela invite à réfléchir à proposer à la fois des formats tournés vers la compétition et la performance pour ceux qui le souhaitent, et d’autres modalités de pratique.

Cela pose ensuite la question du rôle d’une fédération au regard des enjeux sociétaux. Selon moi, une fédération et les associations qui l’incarnent sur le terrain doivent être attentives à conserver leur rôle de passeur culturel autour de valeurs d’égalité, de mixité, d’inclusion et de vivre ensemble. Il y a une interface à trouver, en offrant aux jeunes une offre adaptée sans renier ce rôle de passeur culturel et en se gardant de se transformer en prestataire de services, comme certains pourraient être tentés de le faire, en matière de sport-santé notamment. L’association sportive doit continuer de permettre l’apprentissage par le collectif, offrir un lieu de rencontre à cette génération et répondre au besoin de se socialiser, je dirais même de se « reconnecter » à la vie en société.

 

Propos recueillis par Philippe Brenot

 

(1) Voir La Fabrique du muscle, Guillaume Vallet, L’Échappée, 2002.

(2) Staps : Sciences et techniques des activités physiques et sportives.


Les Jeunes et le Sport. Penser la société de demain, préface d’Isabelle Queval, De Boeck supérieur, 156 pages, 19,90 €.
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