« La Ligne droite », histoire à remonter le temps

Excellente idée des éditions En Exergue de rééditer La Ligne droite d’Yves Gibeau, grand prix de l’Association des écrivains sportifs 1957. Le sujet : la difficile renaissance, dans l’immédiat après-guerre, d’un espoir de l’athlétisme allemand qui a perdu un bras sur le front russe. Sans être un chef-d’œuvre, le roman est très prenant, même si depuis l’athlétisme et le contexte historique ont considérablement changé. Sa trame repose sur la relation d’amour-haine nouée entre Julius, entraîneur bourru qui vit au rythme de son chronomètre, et son protégé, le prometteur Stefan Volker, 1 minute 50 secondes 2/10^e au 800 mètres avant d’être envoyé à la boucherie. Il flotte aussi sur La Ligne droite un parfum de réconciliation des peuples lorsque le noir américain Gibson, qui effectue son service militaire dans l’armée d’occupation, devient le partenaire d’entraînement du blond allemand.

Il y a surtout beaucoup de la personne d’Yves Gibeau (1916-1994) dans ce récit, que ce soit à travers la dénonciation de l’absurdité de la guerre par celui qui avait conté dans Allons z’enfants (1952) sa jeunesse d’enfant de troupe – ces gamins perdus autrefois envoyés faire leur éducation à la caserne –, l’humanisme maladroit d’un entraîneur à l’ancienne ou la volonté d’émancipation d’un athlète blessé dans son âme autant que dans sa chair. On pense aussi à ce souvenir rapporté des championnats d’Europe d’athlétisme 1974 par le journaliste de l’Équipe Alain Billouin. Un matin, celui-ci avise dans les tribunes clairsemées du stade olympique de Rome un groupe de supporters français ayant fait le déplacement. Parmi eux, un homme aux cheveux blancs, attentif à ces courses et concours de qualification pourtant sans grand enjeu. Un discret passionné d’athlétisme dans le cœur duquel vibraient des personnages de roman. Ph.B.

La Ligne droite, Yves Gibeau, préface de Philippe Delerm, En Exergue, 266 pages, 19 €.