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Le sport rural, un enjeu social

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Comment faire rayonner Paris 2024 jusque dans la France des villages ? L’an prochain, l’Ufolep coordonnera des centaines d’évènements pour entraîner dans la dynamique olympique des territoires ruraux qui se sentent parfois délaissés. Et rappeler au passage l’enjeu social qu’y revêt l’activité sportive.

Même dans les campagnes les plus reculées, nul ne saurait ignorer que Paris accueillera l’été prochain les Jeux olympiques et paralympiques. Chacun sait également qu’en plus des joyaux du sport français que sont le Stade de France, l’aréna de Bercy ou le central de Roland-Garros, des lieux emblématiques de la capitale serviront d’écrin aux épreuves : la tour Eiffel, la place de la Concorde, les berges de la Seine, l’esplanade de l’Hôtel de Ville*… Quel décor ! Quel spectacle pour les milliards de téléspectateurs et les centaines de milliers de touristes accourus du monde entier !

Mais comment la France des villages envisage-t-elle ces festivités ? Derrière leur récepteur, les téléspectateurs ruraux se sentiront-ils partie prenante de l’évènement ? Ou bien ces projecteurs braqués une fois de plus sur Paris ne feront-ils que renforcer le malaise des campagnes ? Un malaise né d’un sentiment d’éloignement, voire d’abandon, nourri par le repli des services publics, la fermeture d’écoles, le dépérissement des commerces de proximité, la progression des déserts médicaux et la déshérence de certains terrains de sport...

Tour de France des villages

Voilà pourquoi, d’avril à octobre, 300 à 500 évènements sportifs devraient être organisés en milieu rural, en écho aux Jeux olympiques et paralympiques et avec pour points d’appui les communes de moins de 1500 habitants. Tel est le souhait du ministère des Sports qui, dans le cadre de la désignation du sport et de l’activité physique comme « grande cause nationale 2024 », a proposé à l’Ufolep de coordonner ce projet. Encore en gestation, ce « Tour de France des villages » réunira dans son comité de pilotage d’autres fédérations multisports, des mouvements associatifs, des élus locaux, des acteurs économiques et des personnalités à forte notoriété1. L’idée est que ces animations, inspirées à la fois du dispositif UfoStreet, des caravanes multisports des comités départementaux et des évènements UfoNature associant cross, randonnée, marche nordique et VTT, puissent aussi avoir un impact à long terme sur la pratique sportive dans les campagnes. Ceci en misant, kits de matériel à l’appui, sur des offres ciblées sur les enfants (écoles de sport), les adultes (associations multisports) et les seniors (pratique adaptée), mais aussi la pratique intergénérationnelle. Au-delà de la qualité et du succès public de ces évènements, l’enjeu est en effet de dynamiser ou redynamiser la vie sportive et associative en milieu rural.

Inégalités et différences

Selon le Portrait social de la France2, millésime 2022, les ruraux pratiquent en effet sensiblement moins que les urbains : 60% contre 67%. Cette inégalité (qui se retrouve aussi, et de manière plus aigüe, dans les autres pratiques culturelles dites « extérieures » comme la fréquentation des bibliothèques, des musées et des cinémas) met en évidence la question de l’accès aux équipements et les problèmes de mobilité, encore renforcés par le renchérissement du coût de l’essence.

Les motivations des pratiquants sont également sensiblement différentes : quand les urbains citent d’abord l’entretien et l’apparence physique, les ruraux mettent en avant « le contact avec la nature » et « la rencontre avec les autres ».

D’après l’étude Sport dans la ville publiée en 20213, les ruraux sont également moins satisfaits (42%) de la politique sportive de leur commune que les urbains (59%) et d’équipements qu’ils jugent également à 60% « vieillissants, très vieillissants ou dépassés » (contre 53% pour l’ensemble des Français). Et, parmi les installations dont ils ne disposent pas et souhaiteraient profiter, ils citent les piscines, les sentiers de randonnée et les pistes cyclables.

Faut-il pour autant parler de sous-équipement des campagnes ? En 2017, le Journal des Maires relevait dans un dossier « sport » que les territoires ruraux possédaient malgré tout 27% de l’ensemble des installations, tous types confondus, et que leur présence était corrélée à l’importance de la population : 85% des communes de moins de 100 habitants et 58% de celles de moins de 250 habitants ne disposaient ainsi d’aucun équipement. Tout aussi logiquement, lorsque ceux-ci existent, « ils affichent un taux d’utilisation plus faible qu’en milieu urbain et périurbain ». En outre, si le manque d’installations couvertes freine la pratique pluri-saisonnière, la pratique d’intérieur non compétitive n’exige pas d’infrastructures spécifiques et peut être accueillie dans la salle polyvalente, voire sous le préau de l’école communale.

Nouveaux publics

Le même Journal des Maires s’intéressait également aux « nouveaux publics » en constatant que « les politiques sportives des territoires ruraux sont souvent tournées vers les scolaires et moins vers la population plus âgée », alors que les seniors « sont de plus en plus nombreux à pratiquer une activité physique et sportive » et que « leurs besoins peuvent aisément être pris en compte ». Enfin, « de leur côté, les néoruraux restent souvent en attente d’une qualité d’offre sportive comparable à celle présente en milieu urbain ». Mais comme ces observations datent déjà de six ans, il est permis de penser que les choses ont évolué depuis.

C’est le sentiment de Clément Prévitali, directeur de l’Asept Franche-Comté-Bourgogne, une association de santé publique liée à la Mutuelle sociale agricole4 qui utilise l’activité physique et sportive à des fins de prévention auprès des retraités. Auteur en 2014 d’un ouvrage sur Le sport à la campagne5, Clément Prévitali y observait alors que, faute du renouvellement des dirigeants ou d’un nombre suffisant de licenciés, des clubs étaient amenés à disparaitre ou à fusionner, avec « des conséquences en termes de sociabilité et d’identification à un territoire ». « Ces regroupements n’ont pas toujours fonctionné et l’on assiste aujourd’hui à l’éclosion de nouvelles associations sportives, relève l’ancien étudiant en Staps. Leur but n’est pas de viser l’excellence et de former des champions mais avant tout de permettre aux gens de se retrouver autour d’une activité sportive, avec la volonté de redynamiser un village, comme ces nouveaux bistrots-épiceries qui remplacent des établissements fermés depuis des années, sinon des décennies6. »

Pays d’Othe Multisport

Au sein de l’Ufolep, l’association Pays d’Othe Multisport, créée en 2004 autour du gymnase de Cerisiers (Yonne), 972 habitants, offre un bon exemple de cette nouvelle vitalité rurale. Le POM affiche aujourd’hui 272 adhérents et tout un catalogue d’activités : des activités de la forme (du fitness au yoga), du badminton, de la marche nordique et du multisport adulte autour de pratiques dites « innovantes » ; s’y ajoutent, côté enfants, un atelier motricité UfoBaby, une école de sports et la déclinaison du dispositif Kid Bike pour cyclistes et vététistes en herbe. En parallèle, les activités proposées par l’association sous l’égide de l’Usep réunissent 350 jeunes licenciés des écoles environnantes.

Clément Prévitali cite pour sa part l’Association sportive de Saint-Aubin, près de Dole (Jura), relancée en 2022 autour d’une équipe de football : « Le plaisir de se retrouver pour les matchs du dimanche après-midi sur un stade à qui l’on redonnait vie a débouché à la rentrée dernière sur l’élargissement des d’activités au foot-golf, à la randonnée pédestre et à la course à pied. Ceci grâce au soutien des élus locaux et à l’engagement de bénévoles portés par ce nouvel enthousiasme. »

Nouvelle gouvernance

L’avenir du sport rural passe-t-il donc par des clubs et associations qui, structurés ou non autour d’une activité principale à dimension compétitive, fédèrent autour d’eux des pratiques loisir ? Aux yeux de Clément Prévitali, ce nouveau modèle multisport s’accompagne généralement d’un renouvellement des dirigeants et d’une nouvelle façon d’envisager la gouvernance. « Le modèle ancien d’un président omniprésent, sur lequel tout repose, est à bout de souffle et montre ses limites en matière de compétence et de développement, de projet. Aujourd’hui, un club ne peut se limiter à un projet sportif, surtout dans des territoires ruraux vulnérables. Il doit aussi développer un projet d’animation et d’éducation par le sport », insiste Clément Prévitali. Celui-ci ajoute par ailleurs n’avoir encore constaté sur son territoire « aucune dynamique enclenchée par les Jeux de Paris 2024 ». Mais c’est peut-être pour bientôt.

Philippe Brenot

*Avec, comme sites secondaires hors Île-de-France : Lille (handball), Châteauroux (tir), Marseille (voile) et Teahupo’o à Tahiti (surf).

(1) Sont notamment évoqués pour en faire partie : le groupe SOS, l’Association des maires ruraux de France (AMRF), différents acteurs mutualistes…

(2) Les chiffres cités dans cette étude annuelle de l’Insee et de l’Institut national pour la jeunesse et l’éducation populaire (Injep) concernent précisément les habitants de « l’urbain de densité intermédiaire » et ceux des « territoires ruraux les plus isolés ».

(3) Publiée par le Conseil national des villes actives et sportives et citée par Jean Damien Lesay sur Localtis.fr

(4) Asept : Association Santé Éducation et Prévention sur les Territoires. Il existe 19 structures de ce type dans l’Hexagone.

(5) Titre de l’ouvrage édité chez L’Harmattan venant prolonger sa thèse de sociologie centrée sur « la sociabilité des associations sportives rurales ».

(6) Dans le même esprit, l’opération « 1000 cafés » initiée par le groupe SOS vise à favoriser le vivre ensemble dans les communes de moins de 3500 habitants.


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