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Femmes et sport : Marie-George Buffet revient sur son action

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Ministre de de la Jeunesse et des Sports du gouvernement Jospin (1997-2002), et toujours députée de Seine-Sant-Denis, Marie-George Buffet a donné une impulsion décisive à la féminisation du sport en France. Vingt ans après, son engagement est intact.

Marie-George Buffet, il y a vingt ans s’ouvraient des Assises nationales « Femmes et sport » que vous aviez initiées en tant que ministre. Quel était le sens de cette démarche ?

Elle était liée à mon engagement féministe, au souci d’affirmer la place des femmes dans la société et de lutter contre la domination patriarcale. Or il se trouve que le sport est un enjeu formidable. Il a rapport au corps et s’expose sur la place publique : tout le contraire de la femme au foyer, cachée, invisible… C’était aussi une façon de répondre à plusieurs constats. En arrivant au ministère, je m’adressais exclusivement à « Messieurs les présidents ». Et, au niveau des licenciés, on observait une chute brutale de la pratique féminine à l’adolescence, quand le rapport au corps évolue. Enfin, au niveau international, de nombreux pays interdisaient tout simplement la pratique sportive aux femmes.

Ces assises sont également nées de la volonté de joueuses de football (Nicole Abar et son association Liberté aux joueuses, NDLR) de se faire reconnaître. Parmi les fédérations, le rugby a immédiatement adhéré. « Ils » ont mis des moyens, ont fait appel à des femmes pour développer la pratique féminine, et très vite progressé en nombre de licenciées.

L’idée était de faire du sport féminin une problématique à part entière du ministère, en ouvrant une ligne budgétaire dédiée. C’était à la fois un signe donné au mouvement sportif et aux femmes, afin de leur dire que ce ministère était le leur.

Vous avez imposé la représentativité des femmes au sein des instances dirigeantes des fédérations…

Oui, il a fallu passer par la loi, et nous avons choisi de nous appuyer sur la proportion de licenciées femmes dans chaque fédération. Cette loi allait de pair avec l’évolution sociale : c’est aussi la période où l’Assemblée nationale vote la parité en matière électorale, avec l’alternance d’un homme et d’une femme sur les listes de candidats aux élections municipales, régionales, etc. Passer par la voie législative traduisait aussi une prise de conscience : si la loi ne s’en mêle pas, on ne peut modifier les choses dans les lieux de pouvoir. Ce signe donné à la société entraîne alors une évolution des mentalités. Dans le sport, cela a permis de prouver qu’on pouvait trouver des femmes pour ces postes de dirigeants, dans une compétence partagée avec les hommes.

En quoi ces mesures ont-elles changé les mentalités au sein du mouvement sportif ?

Quand vous êtes une minorité, vous n’avez pas la même capacité à vous faire entendre : la parité amène l’égalité de présence et de prise de parole. L’expression des femmes se libère, et le doute permanent que la société leur renvoie sur leurs compétences se lève. La parité est un instrument pour donner confiance aux femmes et instaurer un « rapport de force », car il faut bien parler en ces termes dans une société patriarcale.

En avril 2002, dressant le bilan de votre action dans notre revue En Jeu, vous estimiez : « Là où il faut encore beaucoup progresser, c’est dans la visibilité. » Cela a-t-il été le cas ?

Oui, mais cela reste insuffisant. Voyez la finale de l’Euro de handball, en décembre. Heureusement qu’une chaîne non payante, TF1 en l'occurence (et sa filiale TMC pour le demi-finale, NDLR), l’a diffusée. Mais si les joueuses n’étaient pas parvenues à ce stade de la compétition, leurs performances seraient passées inaperçues, car cantonnées aux chaînes payantes.

Comme en 1999, quand les Françaises avaient disputé une finale mémorable contre la Norvège…

Il avait alors fallu que je dispute très fort France Télévisions pour qu’ils la retransmettent au dernier moment ! Je m’étais vraiment fâchée, et ils n’ont pas eu à le regretter ! Parmi les grands sports collectifs, nous avons progressé au niveau du rugby, et j’espère qu’avec la Coupe du monde 2019 en France, le football féminin va gagner en audience.

Canal + vient d’ailleurs d’acheter les droits du championnat féminin…

Parce qu’ils ont perdu la Ligue 1 masculine ! Le grand problème, c’est la diminution des moyens de France Télévisions pour l’achat de droits de retransmission. Son rôle est de donner à voir du sport féminin, pas seulement du foot, mais aussi des disciplines moins médiatisées. Or moins France Télévisions consacrera de moyens à l’achat de droits, plus les retransmissions de sport féminin risquent d’en pâtir.

Pour la première fois, le Ballon d’Or 2018 a aussi été décerné à une femme, la joueuse norvégienne de l’Olympique lyonnais, Ana Hegerberg : qu’est-ce que cela vous inspire ?

C’est une source de visibilité pour son sport : on reconnait que c’est une réalité, qu’il a aussi ses vedettes. Ce faisant, on la place sur le même plan. Dommage seulement que cette remise de distinction ait été entachée de propos sexistes de la part de l’animateur de la soirée, le DJ Martin Solveig. Sa question déplacée (demandant à la joueuse si elle savait danser le twerk, une danse très déhanchée aux connotations sexuelles, NDLR) était liée au corps, car on n’admet toujours pas que la femme, la sportive, puisse être jugée autrement que sur son apparence physique, son « capital séduction ». J’ai d’ailleurs été un peu étonnée que madame la ministre des Sports, interviewée à propos de la victoire des handballeuses, souligne qu’elles sont mères aussi. Et alors ? Rien de plus normal ! Tout comme les handballeurs sont pères eux aussi…

Le mouvement #MeToo a eu un écho dans le monde du sport en France, et mis en lumière les pressions pouvant être exercées par des coachs masculins sur de jeunes sportives. Est-ce le signe qu’il y a encore un long chemin à parcourir en matière de féminisation des cadres et d’évolution des mentalités ?

Bien sûr. Dans un rapport entraîneur-sportive s’exerce une forme de domination, envers parfois de très jeunes filles. Nous ne sommes pas au bout des révélations sur les violences sexuelles dans le milieu sportif. Mais, déjà, dans le gouvernement auquel j’appartenais, lorsque Ségolène Royal avait lancé une campagne contre les agressions sexuelles avec un clip qui évoquait un vestiaire de sport, le mouvement sportif avait violemment réagi en affirmant : cela n’existe pas chez nous… Or l’affaire impliquant cet entraîneur d’athlétisme, et celle, avérée et jugée, de cet entraîneur de roller-skating, prouvent que cela existe bel et bien et qu’il faut libérer la parole. Mais, dans l’encadrement fédéral, le plus souvent personne ne suit cela… Il faut interpeller les fédérations à ce sujet. Une gamine de 14 ou 15 ans qui rêve d’une carrière sportive à haut niveau n’osera pas parler. Il incombe à d’autres de voir et d’interpréter les signaux traduisant son mal-être et sa souffrance.

Parmi les ministres des Sports qui vous ont succédé, on trouve surtout des femmes : Roselyne Bachelot (Rama Yade étant secrétaire d’État), Chantal Jouanno, Valérie Fourneyron, Laura Flessel, et aujourd’hui Roxana Maracineanu. Comment l’expliquez-vous ?

Je me demande parfois si l’on ne se sert pas de l’image des femmes pour cacher la misère du ministère des Sports. Ne se dit-on pas, en nommant une ancienne sportive de haut niveau, qu’elle prendra la lumière, et que pendant ce temps-là on pourra rogner en catimini sur le budget ? N’y a-t-il pas alors instrumentalisation de la grande sportive, au détriment d’une grande politique sportive ? Ceci dit, autant Laura Flessel que Roxana Maracineanu sont des femmes déterminées, et si certains pensaient les utiliser, ils se sont trompés. J’entends chez la ministre actuelle, comme chez celle qui l’a précédée, un discours déterminé.

Vous-même, si demain vous étiez à nouveau nommée ministre des Sports, quelles actions mèneriez-vous en priorité sur le dossier du sport féminin ?

Il y aurait tout d’abord une chose très simple à faire : compléter le décret sur l’obligation de retransmission d’événements en y ajoutant des épreuves féminines. Ensuite, toujours concernant la visibilité : faire entrer ces obligations dans les contrats d’objectifs que l’État signe avec la télévision et la radio publiques.

Ensuite, se préoccuper de ce qui se passe dans les clubs en matière de formation. Les sportives de haut niveau doivent rester au sein de ceux-ci et participer à la formation des encadrants. Dans les diplômes sportifs, la préoccupation de la pratique féminine doit également être toujours présente.

Il faut aussi accompagner ces gamines qui, pour des raisons cultuelles ou culturelles, sont en difficulté avec leurs corps et avec la pratique dans la mixité. Attention : sans nuire à cette mixité, au contraire ; à ce titre je suis opposée aux créneaux réservés en piscine par exemple, car on ne fait alors qu’accepter un état de fait. Mais il faut mieux accompagner ces jeunes filles. Je pense notamment à l’accès aux terrains de proximité : comment faire pour qu’ils ne soient pas monopolisés par les garçons ? En proposant par exemple des animations, avec des associations assurant un minimum de suivi de ces équipements en libre accès.

J’inviterais aussi les ligues professionnelles à consacrer une part de leurs moyens au développement du sport féminin. Cela pourrait-il se faire par la concertation, ou bien serait-on obligé de passer par la loi ?

Enfin, je n’oublie pas la bataille internationale. À la fin de mon mandat, nous avions réussi à faire venir deux jeunes filles afghanes aux championnats du monde d’athlétisme. Là, nous organisons les Jeux olympiques et paralympiques en 2024. Si j’étais ministre, je lancerais une campagne pour que l’on n’accueille en France que des délégations mixtes. J’en ferais un combat diplomatique, afin que le défilé d’ouverture soit celui de délégations réellement mixtes, les femmes défilant aux côtés des hommes, et non pas cinq mètres derrière eux.

Propos recueillis par Philippe Brenot


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